dimanche 4 mai 2014

En attendant La Course, la vraie vie des femmes cyclistes pro


Il y a quelques mois encore, ASO, la société organisatrice du Tour de France, boudait l'initiative de quelques cyclistes professionnelles féminines, pourtant mondialement connues, qui réclamaient la tenue d'un Tour de France pour les femmes.

Mais la détermination de ces femmes et le soutien inconditionnel qu'elles ont reçu d'une partie de la communuaté cycliste internationale sur les réseaux sociaux ont eu un écho inespéré qu'ASO ne pouvait pas continuer d'ignorer. Plus de 97 000 personnes ont signé la pétition pour permettre aux femmes de courir le Tour de France et ainsi leur offrir enfin la fenêtre médiatique qu'elles méritent car elles sont tout autant cyclistes professionnelles que les hommes.

Leur acharnement  a payé et le 27 juillet prochain, elles auront l'occasion de rouler sur les pavés des Champs-Elysées quelques heures avant l'arrivée des hommes et les gagnantes auront droit aux mêmes dotations que les hommes. Ce n'est pas encore un Tour Entier mais c'est un bon début comme l'a souligné l'immense championne Marianne Vos,  qui est une des cyclistes à l'origine de cette mobilisation et qui a été invitée cette semaine par ASO à présenter officiellement La Course.

Ce qui est certain c'est que l'événement va offrir une possibilité de médiatisation inouïe aux femmes cyclistes professionnelles mais pourtant rien n'est encore gagné et la route est encore longue.

Les conditions dans lesquelles les femmes cyclistes professionnelles s'entraînent, courent sont souvent beaucoup plus dures que ce que doivent affronter les hommes car elles sont loin d'avoir les mêmes conditions financières, budgétaires et ne bénéficient pas des mêmes structures.

La plupart d 'entre elles ne vivent même pas de leur activité sportive, sont parfois obligées de travailler à côté et pourtant la passion du vélo continue de les animer et même lorsque le mauvais temps, la défaite et les chutes sont au rendez-vous, elles ne lâchent rien par passion pour leur sport et par envie de le faire mieux connaître et surtout reconnaître du grand public. Ce sont de vraies tough girls.

Alors que se tenait ce week-end au Luxembourg, la course UCI par étapes féminine Elsy Jacobs, j'ai eu la chance de m'entretenir avec la cycliste professionnelle australienne, Jo Hogan de l'équipe suisse Bigla Cycling Team. Je vous propose de lire son interview, dont une partie a été publiée dans mon journal Le Quotidien,  pour mieux comprendre à quel point ces sportives sont admirables, courageuses et pourquoi il faut à tout prix les soutenir.



La Course, en français dans le texte, sera diffusée mondialement, une vraie chance pour la médiatisation des femmes cyclistes professionnelles.






Quelques avant le prologue de la Elsy Jacobs, entretien exclusif avec la talentueuse cycliste pro australienne, Jo Hogan. (crédit photo : Julien Garroy). 




«Il y a d'énormes différences de budget»

En marge du festival Elsy Jacobs, la cycliste professionnelle australienne, Jo Hogan, dévoile le vrai visage du peloton féminin qui n'a pas fini de faire parler de lui cette année.

Alors que l'Elite mondiale du cyclisme féminin se réunit ce week-end au Luxembourg pour disputer le festival Elsy Jacobs, Le Quotidien s'est entretenu avec Jo Hogan, cycliste professionnelle au sein de l'équipe suisse Bigla Cycling Team. Agée de près 31 ans, la vice- championne d'Australie 2013 n'est professionnelle que depuis 2012 et pose un regard réaliste sur le statut du cyclisme professionnel féminin.



Les conditions de course sont-elles plus difficiles en Europe qu'en Australie? Quelle est votre sentiment après avoir couru des Classiques cette année?

Le niveau du cyclisme féminin est beaucoup plus élevé en Europe qu'en Australie où ce sport était encore récemment très peu pratiqué par les femmes. De plus, nous n'avons pas  les mêmes conditions en Australie qu'en Europe où il faut composer avec le vent mais aussi les pavés - c'est quelque chose de très spécial (rires). Les Classiques sont des courses formidables, ludiques et représentent aussi un vrai challenge. En Australie, lors d'une grande course, il y a en général 70 participantes. Là, vous vous retrouvez avec 150 ou 200 participantes qui ont toutes de grandes capacités et du talent. Les Classiques sont les courses les plus dures qui existent sur le circuit féminin mais qui vous permettent de beaucoup progresser.




Est-ce la première fois que vous venez au Luxembourg, le pays de Christine Majerus qui est actuellement dans le peloton?

Non, je suis déjà venue avec mon ancienne équipe l'année dernière. Je n'avais malheureusement pas pu finir la course car lors d'une précédente compétition, j'avais fait une chute qui m'avait blessé au dos et m'handicapait. Je suis donc ravie de revenir au pays de Christine Majerus, une cycliste que j'admire et que j'apprécie. Cette année, j'espère faire mieux et j'ai l'ambition de finir dans le top 10.
Vous abordez cette année dans de meilleures conditions au sein de l'équipe suisse Bigla.
Oui , l'année dernière était difficile puisque Bizkaia Durango a mis un terme prématurément à mon contrat, qui d'autre part était peu avantageux sur le plan financier puisque j'avais dû trouver des financements pour payer ma saison. Lors de mon retour en Australie, j'ai dû reprendre mon travail d'infirmière pour subvenir à mes besoins. Je me suis alors posée la question de savoir si je voulais continuer car c'est un coût important de venir en Europe quand vous venez d'Australie. Mais la passion était toujours là et grâce au soutien de ma famille, j'ai décidé de retenter l'aventure en signant un contrat d'un an avec Bigla.



Vous êtes cycliste professionnelle mais vous n'avez visiblement pas les pas le mêmes conditions que les cyclistes professionnels masculins?

Les conditions financières sont meilleures avec Bigla et je sens que je me m'améliore en Europe où le niveau est plus élevé qu'en Australie. Mais à la fin de la saison, je devrai retourner travailler en Australie. Ce n'est pas une mauvaise chose, ainsi lorsque je reprends mon travail d'infirmière, cela me donne l'occasion de prendre du recul et je réalise que je suis très chanceuse d'avoir aussi l'opportunité d'être cycliste professionnelle et j'oublie alors certaines choses dont je me serais plainte sans cela, pour ne garder que le meilleur.
Il y a aussi une énorme différence de budget entre les hommes et les femmes mais aussi au sein même du peloton féminin entre les 10 premières équipes UCI et les autres.


Cette année sera particulièrement importante pour l'évolution du cyclisme féminin alors que les femmes vont avoir l'opportunité de prendre le départ de La Course juste quelques heures avant l'arrivée du peloton masculin du Tour de France sur les Champs-Elysées. Serez-vous de la course ?

J'aurais adoré en faire partie mais jusqu'à présent seules les 10 premières équipes UCI et les 5 premières équipes nationales au classement mondial ont été invitées à venir or Bigla est classée 17ème pour l'instant, nous verrons si d'autres invitations seront envoyées.
Cet événement est en tout cas formidable pour accroître la reconnaissance du cyclisme féminin professionnel car la couverture médiatique sera mondiale. Cela pourrait avoir à l'avenir d'importantes répercussions en augmentant l'intérêt d'éventuels sponsors, des médias, ce qui améliorera sans doute les conditions financières des cyclistes professionnelles, qui sont près de 70% à ne pas bénéficier d'un salaire leur permettant d'en vivre pleinement. La Course est un excellent début, il faut prendre les choses étape après étape.



Le nouveau président de l'UCI, Brian Cookson, a notamment fait campagne en souhaitant mettre plus en avant le cyclisme professionnel féminin. Une de ses idées est d'offrir un salaire minimum aux femmes qui sont dans le peloton professionnel comme c'est le cas pour les hommes. Pensez-vous que c'est une bonne idée?

Mieux promouvoir le cyclisme féminin au niveau de l'UCI est une très bonne chose. En ce qui concerne le salaire minimum,  il est certain que cela permettrait à beaucoup d'équipes de continuer, il faut voir si c'est réellement la solution. Mais il est vrai que nous avons besoin d'un standard. Particulièrement pour les femmes qui courent en Europe et qui viennent de très loin, d'Australie ou des Etats-Unis, c'est en effet particulièrement difficile actuellement. Avec les salaires que leur offrent la plupart des équipes, peu d'entre elles ont les moyens d'être cyclistes professionnelles à plein temps, ce qui est décourageant et empêchent certaines femmes qui auraient les capacités physiques de le faire. De mon côté, j'ai vraiment de la chance d'avoir le soutien de ma famille. 



Au sein du peloton, parlez-vous entre vous de ce que vous devriez faire pour améliorer l'image du cyclisme professionnel féminin?

Je dirais que l'on n'évoque pas assez le sujet, il faut continuer à en parler pour faire évoluer les choses. Heureusement, on peut compter sur Marianne Vos ou Emma Pooley qui sont d'extraordinaires ambassadrices de notre cause et de vraies leaders.
Que faites-vous de votre côté pour accroître la visibilité du peloton féminin?
Je partage mon histoire avec ses mauvais comme ses bons côté sur mon blog, mon site internet et sur les réseaux sociaux. Je pense que cela est très important pour donner envie à d'autres femmes de se lancer dans l'aventure du cyclisme.


Les femmes cyclistes professionnelles ont-elles l'occasion de rencontrer, partager des entraînements avec leurs homologues masculins?

Nous avons très peu de contacts avec eux. Je trouve cela dommage. Nous n'avons en effet ni les mêmes budgets ni les mêmes infrastructures qu'eux pour s'entraîner. Il faudrait à terme voir des équipes se créer avec à la fois une section féminine et masculine ce qui permettrait de partager les infrastructures et de créer des synergies qui pourraient être bénéfiques des deux côtés.


Savez-vous ce que le peloton masculin pense du peloton féminin?

Je pense qu'un grand nombre d'entre eux ne réalisant à quel point c'est plus difficile pour nous que pour eux sur le plan financier. Mais pour avoir déjà eu l'occasion de rouler avec certains d'entre eux, je peux aussi vous dire que certains sont très surpris de notre bon niveau (rires).


Vous avez commencé le cyclisme tard, combien de temps pensez-vous continuer et quels sont vos objectifs?

J'ai commencé le cyclisme à 26 ans mais je me dis que temps que je continue à être enthousiaste et à être bien physiquement, je continuerai. Cette année, je souhaiterais faire de bons classements aux Jeux du Commonwealth ainsi qu'au championnat du monde. L'objectif de ma carrière est de pouvoir participer aux Jeux Olympiques à Rio en 2016.



Comment suivre le parcours de Jo Hogan : 

Jo Hogan est très active sur le web. Vous pouvez la retrouver derrière le pseudo Healthy Cyclist. Elle raconte régulièrement son expérience de cycliste professionnelle et donne des nouvelles de sa saison sur son site web :  www.thehealthycyclist.com.au/

En tant que sportive de haut niveau mais aussi en tant qu'infirmière, elle publie aussi régulièrement de succulentes recettes de cuisine diététiques sur sa page Facebook : 
https://www.facebook.com/TheHealthyCyclist

Retrouvez là enfin à chaque moment sur Twitter : @healthycyclist

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