mardi 7 mai 2013

Des murs à abattre pour que la douleur devienne bonheur


Aujourd’hui, nous sommes le 7 mai. C’est sans doute l’anniversaire d’un certain nombre d’entre vous, c’est aussi la veille du 8 mai ou encore dans une autre partie du monde également la célébration d’un autre événement que la fin d’une guerre. Mais pour moi, le 7 mai, cela signifie surtout que je suis à deux mois de prendre le départ de l’Etape du Tour. L’heure de faire un premier bilan est donc venue.

Se préparer pour une échéance sportive de grande intensité, requiert la mise en place  d’un plan d’entrainement plusieurs mois à l’avance. Ce que j’ai fait depuis six mois. Or, le défaut majeur des plannings est bien souvent qu’ils ne peuvent prévoir l’imprévisible. Ce fut notamment le cas avec le temps glacial qui s’est éternisé au printemps et qui a fortement retardé ma préparation. Mais ma participation à Liège-Bastogne-Liège challenge m’avait remise sur les rails.
Rassurée par cette expérience, je devais donc participer la semaine dernière à mon premier 100 kilomètres. Mais un autre obstacle imprévu s’est invité dans ma préparation très minutée (trop peut-être mais quand on a peu de temps, on tente toujours de l’optimiser) : même en prenant toutes les précautions possibles, votre corps peut parfois vous faire défaut. Avec la variation des températures, je suis tombée malade. Je me suis quand même levée pour aller faire cette randonnée mais une petite voix au fond de moi me murmurait que tout ne se passerait pas  comme prévu. Le ciel gris, le froid matinal, les jambes molles ne m’ont sans doute pas aidé à chasser la petite voix.

En route, j’ai dû me rendre à l’évidence, il était plus raisonnable d’abandonner. Et je peux vous dire que je ne me suis pas cherchée d’excuse pour minimiser l’effet de cette décision : j’ai vécu cet abandon comme un échec. Même si avec du recul je me rends compte aujourd’hui que cela n’en était très certainement pas un : quelques mois auparavant faire 60 km malade, aurait juste été inimaginable.
Mais mes repères, mes principes sont partis en fumée : je m’étais jusqu’à présent toujours fait un point d’honneur à ne jamais abandonner, me réfugiant derrière l’idée qu’en ralentissant de sorte à adopter le rythme d’une tortue, je serais toujours capable d’arriver au bout du chemin. Mais aurait-ce vraiment été sérieux de rouler 100km à ce rythme, ce qui aurait signifié passer sans doute bien 5 heures dans le froid et prendre le risque de retarder ma guérison ? La réponse est non.

Aujourd’hui l’échec est digéré et analysé. Après mon, 60 km du 1 er mai, j’ai roulé samedi un parcours de 72 km avec plus de 900 m de dénivelé à presque 23 km/h de moyenne. Il y a trois semaines à peine, ce parcours me faisait souffrir et aujourd’hui il est devenu mon nouveau parcours fétiche (la beauté du paysage y est pour beaucoup) quand je suis seule.
Enfin ne pas avoir été d’attaque pour les 100km ne signifie pas que j’ai renoncé à progresser. Avec mon fidèle compagnon de route, nous avons profité du beau temps de dimanche pour m’apprendre à me mettre dans le rouge et surtout m’en remettre. Au programme 83km, soit plus que les 80 km qui était mon record absolu jusque là, 1200 mètres de dénivelé et du rythme sur le plat où nous avons atteint et tenu pendant plusieurs kilomètres la barre des 30 km/h.
Enfin, au bout de 65 kilomètres, j’ai  affronté « la Redoute » luxembourgeoise.
J’ai pour habitude de rouler dans une magnifique vallée encaissée nommée « la vallée des 7 châteaux ». C’est tout simplement magnifique, on se croirait en Suisse sur une petite route de montagne, au milieu d’une forêt paisible et la civilisation se fait plus lointaine dans cet endroit qui est un des lieux favoris des cyclistes au Luxembourg.
Qui dit vallée encaissée, dit il faut remonter pour en sortir. Tout au long de cette vallée vous trouvez des châteaux (7 comme son nom l’indique) sur des éperons rocheux et si vous décidez de ne pas attendre la fin de la vallée pour remonter et donc de couper par une de ces petites routes qui remontent au château, c’est un dénivelé très conséquent qui vous attend.

J'aborde les difficultés la fleur au fusil, la pâquerette en bouche car il est plus aisé de s'entrainer quand le printemps pointe enfin son nez...

Dimanche, 18% étaient au programme. En rentrant au plus dur du mur, mes jambes se sont rappelées la Redoute et le même phénomène qu’en Belgique s’est produit dans mon cerveau. Quand vos jambes sont si asphyxiées par l’acide lactique qu’il vous semble qu’elles vont se dérober et qu’elles  vous font si mal que cela en est presque de la torture, deux voix s’affrontent dans votre cerveau : l’une vous hurle « stop »  quand l’autre vous dit plus calmement  « passe à la vitesse supérieure, tu t’en sortiras plus vite ». Et en une fraction de seconde, le choix se fait presque sans que vous ayez l’impression de l’avoir commandé. Je pense pour ma part que mon corps s’est souvenu de la douleur déjà rencontrée à la Redoute et a su s’auto-convaincre qu’il passerait.
Une des choses qui m’impressionne le plus depuis que j’ai débuté un entrainement régulier est de constater à quel point le corps humain est capable de s’adapter à l’effort, à la douleur et surtout mémorise la manière de mieux gérer l’effort pour l’échéance suivante.
Je vous avoue toutefois que les efforts répétés pendant ce tour m’ont vidé et je me suis retrouvée à bout de force au bout de 70 km. Qu’est ce qui fait alors que vous parvenez tout de même à continuer, les ressources insoupçonnées du corps ou le mental?
A ce moment là, j’étais en tout cas en train de « heurter le mur » comme disent les Anglo-Saxons.  Mais cette sensation ne m’était pas inconnue, car il y a encore quelques semaines, je connaissais toujours un passage à vide autour du kilomètre 50 et qui désormais semble être oublié.

Tout comme les marathoniens évoquent fréquemment le fameux mur autour du kilomètre 30 qui est dur tant sur le plan physique que mental à dépasser, existe-t-il des  murs mouvants et propres à chacun en cyclisme ?
En discutant avec des collègues journalistes sportifs, j’ai appris que certains cyclistes professionnels talentueux n’ont été que rarement capables de faire un bon résultat sur une Classique tout simplement parce qu’au bout de 200 km, la baisse de régime devenait pour eux inévitable et ce, quoi qu’ils fassent. Un de ces coureurs en question est le talentueux luxembourgeois Kim Kirchen. Il a toutefois gagné la Flèche wallonne en 2008 dont le parcours se terminait cette année là au bout de …199,5 km, ouf,  il était temps !  En revanche, Kim Kirchen tenait l’enchainement des difficultés dans de grands tours comme le Tour de France.

C’est très surprenant, j’espère en tout cas avoir encore de la marge avant d’atteindre une limite ! Ce qui est très étonnant c’est qu’au kilomètre 76, j’ai retrouvé toute mes forces et aurais sans doute été capable de continuer 15 kilomètres de plus, à moins que cela ne soit la perspective d’arriver qui m’ait redonné mes jambes ?
Une heure après mon retour, la satisfaction, le plaisir de se dépasser et surtout d’enfin pouvoir rouler en court étaient bien présents à mon esprit alors que je dégustais le traditionnel plat de pâtes d’après sortie. Puis soudain, un doute ou plutôt un éclair de lucidité m’a envahi et j’en ai fait part à mon compagnon de route qui partageait avec moi ce repas bien mérité :

« En toute honnêteté, je vais être un peu juste pour faire l’Etape du Tour ? »

Sa réponse ne se fit pas attendre :

« Si tu me demandes si tu auras assez de kilomètres dans les jambes ? La réponse est non.

Si tu veux savoir si ce sera dur ? Oui, tu vas avoir mal, très mal et tu seras épuisée au bout.

Mais si tu veux savoir s’il faut renoncer ? La réponse est Non. »

La réponse a le mérite d’être claire et émane d’une personne qui s’est lancée il y a trois ans dans sa première Etape du Tour en étant un peu court, après moins d’un an de pratique du cyclisme sur route et  qui a réussi le défi ! C’est d’ailleurs lui qui m’a inscrite !
Beaucoup d’amis cyclistes ne cessent de me le répéter, le mental est primordial en vélo, peut-être sans doute est-ce cela qui nous aide à surmonter la douleur quand elle devient omniprésente.

Car certes, le vélo est une affaire de plaisir mais c’est aussi une affaire de douleur parfois intense quand on veut progresser.
Je me souviendrai toujours de ma première expérience sérieuse de cycliste sur route, il y a un an sur les pentes du Ventoux, par la route de Bédoin.
Au plus dur de la pente dans cette partie (un peu avant le chalet Reynard pour les connaisseurs) et alors que le chaleur se faisait étouffante dans le sous-bois,  je me souviens d’un cycliste qui me doublant à faible allure, me fait un sourire et tenant de reprendre son souffle, me lance :

«Mais pourquoi on se fait si mal ? »

Difficile de savoir quoi lui répondre, à chaud, à très chaud même,  je lui ai surtout fait un grand sourire et ai dû lui sortir une banalité du genre « oui, c’est clair ! ».

Peu importe, cette communion dans la douleur nous a, je pense, permis à tous les deux d’oublier un peu ce que nous faisions subir à notre corps. Tromper l’esprit, ça je l’ai perfectionné notamment avec ma stratégie de la vache (voir le post sur Liège-Bastogne-Liège).
Pratiquant occasionnellement des disciplines dites à sensation forte,  je dirais qu’il y a un point commun entre ces sports extrêmes et le cyclisme  qui pourrait se résumer ainsi : la douleur vaut sans doute d’être vécue pour la décharge d’endorphine qu’elle procure quand on arrive au bout. En plus du plaisir d’être en pleine nature, je dirais qu’il y a sans doute chez les cyclistes amateurs -peut-être aussi chez les pros d’ailleurs,  une part non négligeable de drogués à l’endorphine et à l’adrénaline.

Après cette digression, aujourd’hui l’Etape du Tour m’apparaît encore comme une montagne infranchissable ou plutôt comme un mur que je devrai m’efforcer d’abattre. Mais se dire que quoi qu’il arrive on va souffrir est quelque chose qu’il faudra intégrer, gérer avant l’Etape et tenter d’oublier pendant l’effort. J’espère qu’il y aura beaucoup de vaches à regarder…
Si regarder trop loin crée une appréhension inutile, savoir faire le point régulièrement sur l’avancement de son programme d’entrainement est indispensable même si actuellement c’est plutôt effrayant… Dans les semaines à venir, les sorties vont donc sans doute se passer en partie dans le nord du Luxembourg pour aller chercher des dénivelés encore plus corsés dans les Ardennes luxembourgeoises où d’autres petites Redoute et mur de Huy locaux pourront m’aider.

Un stage maison en Bourgogne est aussi de nouveau au programme et le prochain test sera la  Claudio Chiappucci, une cyclosportive classique en Bourgogne où l’ancien pro du même nom roule toujours avec les amateurs ce jour là. L’année dernière, cela avait été mon premier 80 km mais cette année, je vais m’inscrire à la vraie course, la 160 km.
Est-ce que j’ai perdu la raison ? Non, l’objectif n’est pas nécessairement de la terminer mais de gagner en endurance (L’Etape du Tour, c’est 130 km !). Et trente kilomètres avant l’arrivée, le tracé passe devant ma maison bourguignonne, il sera donc toujours temps éventuellement d’arrêter là.
En tout cas, le compte à rebours avant l’Etape du Tour est bel et bien lancé...

1 commentaire:

  1. Je te lis avec intérêt Delphine, et te souhaite de trouver bien plus de plaisir que de souffrances et surtout pas celles qui conduisent à la blessure, au dégoût, à la déception. L'endurance, l'enchaînement de sorties sur plusieurs jours préparent aussi à ces épreuves. S'il reste 30 km après Bouilland, tu dois pouvoir garder l'énergie et la volonté de terminer.
    Pour ma part, peu m'importe la moyenne ("le vélo, plus c'est long, plus c'est bon) :
    http://f6mig.over-blog.com/article-paris-brest-paris-1999-37728123.html
    http://f6mig.over-blog.com/tag/Tour%20De%20France%20cyclotouristique%202008%20-%202009/
    Bonnes routes

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